vendredi 21 janvier 2011

Le chant de Kalliopê (9)


IX- Une famille, enfin !

Peu de temps après, je demandais officiellement à rentrer au sein des Faucheuses d’Âmes en remplissant le questionnaire en vigueur à l’époque. Deux jours plus tard, Lizzy, à qui j’avais confié ma démarche, me remis une enveloppe cachetée aux armoiries de la guilde. Je la décachetais fébrilement pour lire la missive couverte d’une écriture fine et nerveuse.

- Alors ? m’interrogea ma logeuse. Es-tu acceptée ?
- Je ne sais pas, répondis-je en lui tendant le parchemin. Lilith m’invite à la rejoindre dans la salle des médaillons de Camelot dans la soirée. Tu crois que c’est bon signe ? ajoutais-je anxieusement.
- Le ton de la lettre est amical et si tu ne convenais pas, elle n’aurait sûrement pas pris la peine de se déplacer, tu ne penses pas ?
- Je suppose... dis-je avec un petit sourire.

Les heures d’attente me parurent des siècles alors qu’une boule m’enserrait peu à peu la gorge à l’idée d’un refus. J’avais beau me dire que ce ne serait pas la fin du monde, qu’il existait d’autres guildes susceptibles de m’accueillir, je ne pouvais contrôler cette angoisse. Être rejetée une fois encore, me retrouver de nouveau sans foyer, sans famille, m’était insupportable. J’avais besoin d’être reconnue, comme un enfant par ses parents le jour de sa naissance, besoin aussi d’être soutenue, portée par des bras protecteurs. J’étais si fatiguée d’avoir dû cheminer seule toutes ces années, sans personne pour me relever quand je tombais et pour m’encourager à continuer ma route. Tous mes espoirs ce jour-là reposaient sur les Faucheuses...

J’arrivais très en avance dans la salle du premier étage du château. J’aperçus Lilith qui m’attendait à l’autre bout de la salle et me dirigeais vers elle d’un pas hésitant. Le sourire qui illumina son visage à mon approche ne me laissa aucun doute sur la réponse qu’elle allait me donner. Mon cœur bondit dans ma poitrine quand elle prit la parole :
- Kalliopê, j’ai le plaisir de t’annoncer ton intégration dans notre communauté.

Elle déposa dans ma main une broche aux armes des Faucheuses et une bourse contenant quelques pièces d’or.
- Je te remets officiellement ton insigne d’Aspirante ainsi que des fonds pour t’acheter du matériel de qualité.
Elle me prit dans ses bras alors que j’étouffais avec peine un sanglot de soulagement.
- Merci ! Oh merci à vous Lilith !, parvins-je à bafouiller alors que des larmes de joie dévalaient le long de mes joues.
- Bienvenue dans notre famille jeune Ménestrelle et rappelle-toi, Faucheuse un jour, Faucheuse toujours.
Puis, elle ajouta les yeux pétillants d’espièglerie :
- Le tutoiement est de rigueur chez nous. Il va falloir en prendre l’habitude.
- Promis hoquetais-je en riant et pleurant à la fois.

Son ton se fit alors plus grave :
- J’aurais aimé une cérémonie avec l’ensemble de nos sœurs pour ton arrivée, mais nous partons en mission dans quelques heures et je suis attendue pour régler les derniers détails. Comme je ne voulais pas te faire patienter plus longtemps, j’ai préféré te voir seule, dès ce soir. J’espère que tu ne m’en veux pas.
- Comment pourrais-je t’en vouloir alors que tu viens de me combler, la rassurais-je.

Après une dernière accolade, elle partit vers le marchand de médaillons et je retournais à l’auberge annoncer à Lizzy mon entrée dans la guilde, le cœur empli d’allégresse et la tête pleine de rêves...

Aujourd’hui, je viens d’atteindre mon 36ème cercle et j’ai été promue Faucheuse Accomplie par mes pairs, en attendant mon statut de Faucheuse Confirmée lorsqu’à mon tour, je gagnerai le droit de porter mon armure épique. Bien que je sois trop rarement à mon goût avec mes amies, mon travail et mes études me prenant énormément de temps, chaque rencontre me ravit et je remercie les Dieux chaque jour pour le don qu’ils m’ont accordé. J’ai enfin trouvé ma famille ! Depuis que je suis parmi mes sœurs, certaines sont parties, d’autres nous ont rejointes. Nous avons vécu des hauts et des bas, des moments d’intense exultation et d’autres de profond désarroi. Mais quelles que soient les épreuves que je traverserai, les Faucheuses resteront mon chez-moi, celles avec qui je me ressource, celles pour qui je me bats. Elles sont ma raison de vivre dans ce monde si cruel et si violent qu’est Camlann.

Merci mes amies, mes sœurs, mes chères Faucheuses. Je vous aime...

Les Faucheuses d’Âmes
Fières amazones, femmes ardentes
A
mies, complices, belles amantes
U
nies comme les doigts de la main
C
hevauchant le même destin
H
abiles au maniement des armes
É
mues de voir couler les larmes
U
ltime espoir des opprimés
S
ouhaitant leur honneur venger
E
lles forment une famille, un clan
S
ymbole fort de leurs sentiments

D’
aucuns diront que toute chaîne
A
vec le temps, peut se briser
M
ais toutes les difficultés
E
lles les ont toujours surmontées
S
ans fureur, sans peur et sans haine

Illustration : Francis Manapul pour "7 guerrières"

Le chant de Kalliopê (8)


VIII- Les Faucheuses d'Âmes

Ma journée s’était déroulée lentement, tellement j’avais hâte de me rendre à l’invitation de Lilith pour converser de nouveau avec elle.

Dès la fin de mes cours à l’Académie, alors que le soleil commençait à décliner, je me dirigeais vers l’imposant château de Camelot au premier étage duquel, m’avait-on indiqué, se trouvait la "salle des médaillons". Il s’agissait en fait d’un immense balcon surplombant tout le pourtour du rez-de-chaussée. J’étais impressionnée par la beauté du lieu, le parquet brillant, la rambarde en bois sculptée avec art, les vitraux multicolores retraçant les aventures épiques de notre bon roi Arthur et qui, dans le soleil couchant, donnaient à cet endroit une atmosphère incomparable.

À ma gauche, une masse d’aventuriers s’agglutinaient autour de deux hommes. Je compris vite que le premier auquel s’adressaient les voyageurs leur vendait les fameux colliers leur permettant d’atteindre leur destination et que le deuxième, un mage, psalmodiait un sort activant le pouvoir des bijoux. J’avançais donc vers le marchand, achetais un médaillon pour Jordheim et l’attachais autour de mon cou. J’attendais ensuite patiemment mon tour pour demander au magicien de me téléporter dans la capitale Midgarienne.

Je ne saurais décrire l’impression que j’ai ressentie au moment du "saut"... Il me fallut quelques secondes avant de reprendre mes esprits et me débarrasser du léger vertige qui m’avait envahi. Je me dis que cela s’atténuerait sûrement avec l’habitude... Une fois mon sentiment de malaise passé, je regardais autour de moi. Je me trouvais dans une gigantesque salle entièrement lambrissée, sur une large estrade où se déroulait le même manège que dans la "salle des médaillons" de Camelot. Apercevant un escalier, je le descendais prestement pour sortir du bâtiment. L’air glacial qui m’accueillit me surprit et je resserrais ma cape autour de mes épaules : "la prochaine fois, je penserai à me couvrir plus chaudement", murmurais-je.

Je me mis en route à travers Jordheim, à la recherche de la taverne des Faucheuses d’Âmes. Marcher dans le dédale des rues de la cité me permit d’apprécier l’architecture locale. Elle respirait la simplicité, la force et la solidité, à l’image des habitants de ce royaume, forcés d’évoluer dans un climat rude aux hivers extrêmement longs et rigoureux. Je demandais plusieurs fois mon chemin de peur de me perdre et arrivais bientôt en vue d’une auberge cossue dont l’enseigne portait le nom de "Chez Rosita" et d’où s’échappaient des cris et de grands éclats de rires.

Sans hésiter, j’ouvris la porte… À l’intérieur, un terrible brouhaha et une alléchante odeur de cuisine m’assaillirent. Je m’avançais vers un large comptoir en chêne derrière lequel se tenait la tenancière.

- Bonjour, commençais-je. Je cherche Lilith. Sauriez-vous si elle est arrivée ?
- Les Faucheuses se trouvent dans la salle privée, me répondit Rosita avec un sourire chaleureux. Lilith m’a prévenue qu’une jeune Ménestrelle les rejoindrait sûrement dans la soirée. C’est la porte au fond de la salle.

Je la remerciais et zigzaguais péniblement à travers la foule pour atteindre enfin mon objectif.
Je décidais de ne pas frapper, doutant d’entendre une quelconque réponse dans la cacophonie ambiante et pénétrais timidement dans le salon après avoir refermé le battant derrière moi. Une vingtaine de femmes entouraient une immense firebolgue aux cheveux verts, qui arborait un sourire radieux. Lilith se tenait à côté d’elle et demanda le silence :
- Mes sœurs, annonça-t-elle. Nous sommes réunies ce soir pour fêter le cercle ultime de notre Grande Téa. En attendant le retour de sa quête, au terme de laquelle elle arborera l’Armure Épique des membres de sa profession, félicitons-la dignement !

Elle prit son amie dans ses bras et l’embrassa joyeusement sur les joues.
- Teachaiika, bravo… et tu sais que les Faucheuses répondront présentes si tu souhaites leur aide dans ta quête.

Des vivats retentirent dans toute la pièce et les Faucheuses se précipitèrent vers leur compagne pour la congratuler.

Voir des personnes si différentes et pourtant si unies dans un tel élan de joie me fit chaud au cœur. Je sentais l’affection et le respect qui les habitaient et les rendaient plus fortes. L’émotion me prit à la gorge et mes yeux se remplirent de larmes. C’est à ce moment que Lilith m’aperçut. Elle me fit un grand signe de la main et lança :
- Kalliopê, venez que je vous présente aux filles !

Tous les regards convergèrent vers moi alors que je m’avançais et sur les visages, je ne lisais que gentillesse et bienveillance. Lilith me prit par l’épaule et me présenta. Les Faucheuses me souhaitaient la bienvenue et me posaient des tonnes de question, tellement que la tête m’en tournait. Certaines me serraient la main, d’autres m’embrassaient, toutes riaient...

La soirée fut un enchantement ! Je ne résistais pas à chanter quelques chansons rythmées, invitant les jeunes femmes à chanter avec moi et à danser. J’avais l’impression de me retrouver en famille... celle que j’avais imaginée dans mon enfance et qui m’avait tellement manquée. Celle qui ne juge pas, celle qui vous aime pour ce que vous êtes. Et repoussé par cette ambiance bon enfant, le nuage noir et dense de tristesse qui emprisonnait mon âme ces dernières semaines, se dissipa peu à peu. J’étais si bien…

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jeudi 20 janvier 2011

Le chant de Kalliopê (7)

VII- Une rencontre décisive

Cette plongée dans mon passé m’avait anéantie… Bien sûr, mon mentor m’avait convaincue de sa nécessité pour continuer mon apprentissage, mais le travail que je m’imposais me laissait chaque fois plus désemparée que la précédente.

Je continuais néanmoins à donner mes représentations à l’auberge de Costwold. Le propriétaire de l’établissement m’avait permis d’emménager dans une confortable petite chambre au deuxième étage, où je disposais d’un lit moelleux, d’une armoire et d’un bureau pour travailler. Sa femme Elizabeth, avec qui j’avais sympathisé, m’apportait régulièrement des fleurs fraîches qu’elle disposait dans un joli vase près de la fenêtre ainsi que des chandelles de cire blanche pour me permettre d’écrire tard dans la nuit.

J’avais décidé de raconter ma propre histoire, pensant que cela me permettrait peut-être d’évacuer ma douleur. Mais mon héroïne trouvait le bonheur et tout se terminait pour le mieux, à la plus grande satisfaction du public. À la fin de chaque spectacle, je montais directement dans mon antre pour y dîner. Je n’avais plus le courage de me mêler à la foule joyeuse des habitués…
Elizabeth, que j’avais affectueusement surnommée Lizzy, s’inquiétait de mon état et veillait à ce que je mange suffisamment. Elle venait me voir quand son travail lui en laissait le loisir et me racontait les potins de la capitale. Je faisais mine de l’écouter avec intérêt pour ne pas la peiner, mais le cœur n’y était pas. Le désespoir et la solitude me détruisaient peu à peu et ma passion pour mon nouveau métier ne parvenait plus à me consoler.

Un soir pourtant, je demandais Lizzy de me servir mon repas dans la grand-salle et je m’installais à une petite table près de la cheminée. C’est là que je la vis pour la première fois… Elle se tenait adossée au comptoir et m’observait. Elle était grande, svelte et d’une beauté à couper le souffle. Ses cheveux, tressés savamment, flamboyaient d’un rouge chaud comme le soleil couchant, encadrant un visage clair et pur. Ses lèvres pulpeuses avaient la couleur rosée des friandises préférées des enfants de Camelot. Ses yeux, aussi bleus que le ciel au plus fort de l’été Albionnais, semblaient si profonds que tout homme aurait pu s’y perdre sans espoir de retour.

Elle se dirigea vers moi. Je remarquais qu’elle était vêtue, à l’instar des guerriers, d’une cotte de mailles soulignant avantageusement ses formes généreuses et qu’elle portait une épée longue et une autre à deux mains. Sa démarche féline et ses gestes fluides démontraient une expérience que seules des années de combat sont susceptibles de procurer. Tous les mâles présents la suivaient du regard, hypnotisés par le balancement de ses hanches. Je vis quelques aventuriers hocher la tête sur son passage, en signe de respect dû à une personne de grande valeur.
C’est lorsqu’elle s’arrêta devant moi que j’aperçus le médaillon d’or ornant sa poitrine. Il représentait une épée autour de laquelle s’enroulait une rose. Je pensais furtivement que cet insigne lui ressemblait… un mélange subtil de force et de douceur.

- Puis-je me joindre à vous ? me demanda-t-elle d’une voix mélodieuse.
- Je… je vous en prie, balbutiais-je timidement.
Face à elle, je me sentais aussi insignifiante et dépourvue d’attrait qu’un canard dans un troupeau de cygnes.

- Je tenais à vous remercier de m’avoir aussi bien divertit. Il y a longtemps que je n’avais vu un auditoire aussi attentif, me dit-elle en souriant. Puis elle ajouta en me tendant la main : Mais je ne me suis pas présentée… Pardonnez-moi ! Je me nomme Lilith Elween.
Je me sentis soudain en confiance et j’avançais la mienne à mon tour :
- On m’appelle Kalliopê.

Je ne savais pas encore que cette rencontre changerait mon existence…
Je demandais à Lilith si elle avait dîné et, devant la négative, appelais Lizzy pour qu’elle nous serve un plat chaud accompagné de bon vin.
- Dites-moi, Kalliopê", commença ma compagne. À partir de quel moment votre histoire de ce soir est-elle inventée ? Je pencherais pour votre arrivée à Camelot… Est-ce que je me trompe ?
Je la regardais avec surprise.
- Je n’ai jamais précisé qu’il s’agissait de moi…
- C’est pourtant évident, ma chère me répondit-elle en riant. Votre émotion et vos yeux vous ont trahi !

Je ne pouvais que lui avouer qu’elle avait raison.
Nous discutâmes longtemps, réchauffées par le breuvage épicé et le crépitement des flammes. Elle me parla du monde de Camlann, de sa violence depuis la mort d’Arthur.
- Venant d’arriver sur nos terres, vous bénéficiez encore d’une certaine immunité, mais bientôt, vous serez exposée vous aussi. Je vous conseille vivement d’intégrer une guilde afin de bénéficier d’une protection.
- Une guilde ? m'écriais-je. Mais je ne connais presque personne ici… On ne s’engage pas dans une confrérie à la légère !
- Je suis sure que l’aubergiste pourra vous renseigner sur les principales. Cependant, pensez bien à demander quels préceptes suivent ces groupements… Certains acceptent le meurtre gratuit, sans sommation, quelle que soit la cible. D’autres combattent exclusivement les personnes susceptibles d’entrer dans ce schéma. D’autres enfin, mettent un point d’honneur à ne répliquer qu’en cas d’agression. Tout dépend de vos convictions.
- Je suis une artiste, répliquais-je. Je déteste la brutalité ! Bien sûr, il est hors de question de me laisser trucider sans répliquer, mais dans aucun cas je ne serai à l’initiative d’un combat.

Lilith me sourit en se levant :
- Je dois vous laisser car il se fait tard et je n’ai pas vu le temps passer. Venez donc me voir à Jordheim, nous continuerons cette conversation. Je serai à la taverne des Faucheuses d’Ames.

Je lui promis de profiter de ma soirée de repos du lendemain pour m’y rendre. Après un dernier au revoir, elle quitta l’établissement.

Je montais alors dans ma chambre et me couchais aussitôt. Mes cauchemars furent moins nombreux cette nuit-là…

Illustration : Might par RogueElement.

mardi 18 janvier 2011

Le chant de Kalliopê (6)

VI- Réminiscences

Pour mon premier jour d'apprentissage, j'arrivais à l'heure dite et me dirigeais directement vers la classe dans laquelle j'avais effectué mon examen d'entrée à l'Académie. Mon instructeur m'attendait et m'accueillit d'un hochement de tête approbateur :

- Bonjour, Kalliopê. Vous êtes ponctuelle, voilà qui m'agrée. Pour commencer, j'aimerais vous connaître un peu mieux. Parlez-moi de vous, de ce qui vous a mené sur la voie des Ménestrels…
Je palis et mon sourire s'effaça aussitôt.
- Sans vouloir vous offenser, Maître Berwick, répondis-je. Mon passé est derrière moi et je ne souhaite pas m'y appesantir.
Son regard s'adoucit et il soupira.
- Allons nous asseoir un instant, voulez-vous ? me dit-il en m'entraînant vers un banc près de la fenêtre. Vous semblez avoir subi bien des épreuves, je le lis sur votre visage. Je comprends que vous souhaitiez tourner la page, mais chercher à oublier votre histoire serait une erreur. Ce serait renier la personne que vous êtes…

Après une courte pause et face à mon mutisme obstiné, il continua :
- Dans la profession de Ménestrel, comme dans celle de Comédien, quoi que vous contiez, il est primordial d'être crédible. C'est pourquoi vous devrez vous servir des émotions ressenties pour les retransmettre à votre auditoire le plus fidèlement possible. D'autre part, certains chants ou intonations appellent la magie. Réfléchissez ! Quand, d'après vous, le pouvoir de la Voix s'est-il manifesté pour la première fois ? Je vous laisse méditer sur cette question. Lorsque vous serez en mesure de me donner une réponse, nous continuerons.
Il me tapota l'épaule, se leva et sortit de la pièce.

Je restais là un long moment, l'esprit vide, regardant sans les voir les élèves déambulant d'un côté à l'autre de la cour. Soudain, je fus assaillie par une multitude de souvenirs ; mon passé recelait si peu de joie et tant de souffrance, de peur et de tristesse. Les larmes coulaient sur mes joues et mon corps était secoué de sanglots silencieux. Enfin, je me rappelais avec une acuité surprenante d'un épisode survenu au tout début de mon mariage.

Mon mari était célèbre dans toute la maisonnée pour ses terribles accès de colère. Quand je me trouvais en sa présence, j'appris rapidement à détecter les prémices de ses sautes d'humeur. J'étais fière alors et je refusais de me laisser dompter par cet être que j'exécrais. A chaque altercation, je haussais la tête et affrontais bravement les cris et les coups mais, malgré ma douleur, je me sentais gagnante au bout du compte ; le fait qu'à court d'arguments, il finisse par me frapper me confirmait sa lâcheté. Quelle idiote…

Mais un jour, j'allais trop loin. Nous devions nous rendre à une de ces soirées pour lesquelles il me forçait à porter des vêtements tapageurs afin de m'exhiber comme un vulgaire trophée. Ne me voyant pas arriver, il s'était rendu dans ma chambre pour m'ordonner de me presser. Je l'envoyais paître d'une voix dure, refusant de me prêter une fois de plus à cette mascarade. Il marcha vers moi et, avant que je réagisse, il m'asséna une gifle retentissante. La violence du coup m'envoya sur le lit et je me cognais l'épaule contre le baldaquin. Il saisit alors la toilette posée sur l'édredon, me la jeta à la face en me hurlant de m'habiller sur le champ. Je me levais en vacillant et plongeais mon regard droit dans le sien. D'un geste rageur, j'arrachais la manche de la robe.
- Plutôt crever ! crachais-je avec mépris.

Je me rendis compte trop tard de mon erreur. Une lueur de folie meurtrière s'alluma dans ses yeux. Il m'attrapa par les cheveux et me jeta sauvagement contre le mur près de l'âtre. Mon crâne heurta durement le manteau de la cheminée et je m'écroulais au sol, à moitié assommée. Je tentais de me relever quand il me lança un terrible coup de pied dans les cotes qui me coupa le souffle. J'entendis un craquement et une douleur aiguë manqua de me faire défaillir. Je me roulais en boule pour me protéger alors qu'il continuait de me frapper encore et encore, en vociférant des insultes. L'entendant se déplacer, je soulevais la tête. À travers le sang qui coulait de mon front, je le vis se pencher pour attraper le tisonnier. Mon cœur manqua un battement et la terreur me noua la gorge. Il se retourna vers moi, leva son arme et proféra dans un rictus sinistre :
- Oui, tu vas crever, sale garce !

Sans réfléchir, je tendis mon bras vers lui et criais d'une voix que je ne me connaissais pas :
- Arrêtez !

Ses yeux se voilèrent et il resta immobile quelques secondes. Le tisonnier s'échappa de sa main et tomba sur le tapis dans un bruit sourd. J'en profitais pour lui parler doucement afin de l'apaiser. Son bras s'abaissa peu à peu comme il reprenait ses esprits. L'orage était passé. Je me tus. Un silence pesant s'installa, entrecoupé par les crépitements du feu et par nos respirations haletantes. Il me tourna le dos et se dirigea vers la porte d'un pas lent. Il l'ouvrit et, avant de quitter la pièce, il marmonna :
- Vous avez de la chance. Pour ce soir, je dirai que vous êtes souffrante. Mais si vous osez me défier encore une fois, je vous tuerai !
J'entendis ses pas s'éloigner dans le couloir avant de perdre conscience.

Je comprenais maintenant les propos de mon professeur. Revenant au présent, j'attendais un peu pour retrouver un semblant de sérénité, puis je partais à la recherche de Maître Berwick pour lui raconter mon histoire.

Désespoir

Lorsque je me suis libérée

De ce passé qui me rongeait

Je pensais que si je ne me retournais pas

Une nouvelle vie s'offrirait à moi

Malgré les tourments de la guerre

Le mal qui parcourait nos terres

Je voulais aider les Camlannais

Leur rendre le sourire, les faire rêver

J'étais si sûre d'y arriver…


Mais pour devenir Ménestrelle

En connaître toutes les ficelles

Je devais plonger dans ce passé

Que j'avais promis d'oublier

Je croyais que j'étais assez forte

Que je pourrais ouvrir la porte

Emprisonnant mes souvenirs

Et enfin les laisser sortir

J'étais si sûre d'y arriver…


Mais le temps n'adoucit rien

Ni la douleur, ni le chagrin

Et le désespoir a déferlé

En moi comme un raz-de-marée

Je ne peux pas le faire sortir

Il me torture, il me déchire

Je cherche une lueur pour me guider

Pour m'éviter à jamais de sombrer

Je ne suis pas sûre d'y arriver…


Je voulais donner du bonheur

Guérir les plaies, soigner les cœurs

Mais qui me soignera, moi ?

Qui me soignera…


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lundi 17 janvier 2011

Le chant de Kalliopê (5)


V- Maître Berwick

Mon premier spectacle à Costwold fut un succès dépassant mes espérances. J'étais tellement inquiète de la réaction du public que j'avais particulièrement soigné mon apparence ainsi que mon entrée en scène. Comme d'habitude, une fois lancée, mon angoisse s'était envolée et mon excitation s'était amplifiée au fur et à mesure de mon récit. Je sentais mes joues en feu et une immense jubilation m'avait envahie. Les yeux brillants et les visages illuminés des spectateurs restaient pour moi, la plus belle des récompenses. Et enfin, lorsque je saluais l'assistance, ses applaudissements et ses cris de joie représentaient la plus douce des musiques. Avant de monter me coucher, je demandais au tenancier quelle était la meilleure école de Ménestrels de Camelot. Il m'expliqua que je devais me rendre à l'Académie de Magie dont une des sections regroupait les professeurs les plus réputés du royaume. C'est donc pleine d'espoir que je décidais de me rendre dans la cité dès le lendemain matin. Je dormis merveilleusement ce soir-là.

Je me levais à l'aube et après mes ablutions matinales et un frugal petit-déjeuner, je me dirigeais vers les remparts de Camelot. Leur hauteur m'impressionnait et plus j'approchais de la porte Est, plus je me sentais insignifiante à côté de la puissance dégagée par la vertigineuse muraille de pierres. Je traversais le pont surplombant les douves. Deux gardes se tenaient de part et d'autre de l'entrée, si imperturbables qu'il me semblait que même une armée de dragons furieux ne les aurait pas délogés de leur poste. Je traversais ensuite un immense passage à l'air libre avant d'atteindre le mur d'enceinte entourant la ville. Deux autres soldats protégeaient le portail, tout aussi stoïques que les précédents. En les dépassant, j'admirais et félicitais intérieurement la discipline des gardes royaux.

Lorsque j'entrais dans Camelot, sa beauté me frappa au cœur et j'en eus le souffle coupé. Tout ce que j'avais pu lire à son sujet s'avérait bien en dessous de la vérité. Je décidais de prendre la matinée pour visiter les lieux et déambuler dans les rues. Tout n'était que couleurs chatoyantes, parfums entêtants et brouhaha assourdissant. Je croisais une foule bigarrée, du guerrier en cotte de mailles rutilante à la femme en robe de soie éclatante, du jeune page en livrée neuve au vieil homme au costume austère et usagé. La place du marché me ravit ! Jamais de ma vie, je n'avais vu autant d'échoppes. On devait pouvoir trouver ici les articles les plus disparates, du plus indispensable au plus inutile.

Alors que le soleil atteignait son zénith, je sentais la faim qui commençait à me tenailler. Je m'arrêtais donc à un étal particulièrement appétissant et achetais une petite tourte au poulet toute chaude et quelques beignets au miel. J'en profitais pour demander au marchand où se situait l'Académie de Magie. L'homme m'indiqua le chemin et, après l'avoir gentiment remercié, je partis en dégustant tranquillement mon déjeuner.

Je repérais l'école de loin. Il s'agissait d'un immense groupe de bâtiments entouré d'une grande muraille et dont l'enseigne était magnifiquement ouvragée. Je passais le portique d'accès et interpellais un jeune élève qui marchait dans ma direction d'un air concentré.
- Excusez-moi, je cherche la section des Ménestrels, je vous prie, lui demandais-je.
- C'est par là ! me répondit-il en montrant une porte sur sa gauche. Mais, adressez-vous à Maître Berwick, il vous renseignera, continua-t-il en m'indiquant un homme discutant, à quelques mètres de nous, avec trois étudiants.
Je hochais la tête et le remerciais.

Maître Berwick était un homme d'une quarantaine d'années, à l'allure assez commune. Néanmoins, les jeunes gens auxquels il s'adressait paraissaient l'écouter avec vénération. Il était vêtu d'un pourpoint et de hauts-de-chausses taillés dans une étoffe simple mais de qualité, révélant une personne préférant le confort aux rubans et dentelles dont s'affublaient les conteurs que j'avais rencontrés dans le bourg de mon enfance. J'attendais qu'il ait terminé sa conversation pour m'approcher de lui.
- Bonjour Maître Berwick, je me nomme Kalliopê, me présentais-je nerveusement. Je souhaiterais devenir Ménestrelle et l’on m'a conseillé de venir à l'Académie de Magie.
- Suivez-moi, mon enfant, me pria-t-il. Installons-nous dans une classe ; nous y serons plus à notre aise pour parler.

En quelques secondes, j'avais compris pourquoi cet homme officiait en ces lieux. Sa voix était grave, chaude et envoûtante et, lorsque mon regard avait croisé le sien, il n'avait pu s'en détacher. J'étais comme hypnotisée. Son attitude était si bienveillante que je me sentais bien, sereine et en pleine confiance.

Nous arrivâmes dans une petite salle lumineuse dans laquelle une dizaine de lutrins étaient alignés. Une haute bibliothèque regorgeait d'ouvrages aux reliures de cuir, de feuillets et autres rouleaux de parchemin. Le professeur se tourna alors vers moi et me dit :
- Bien ! Maintenant, montrez-moi ce que vous savez faire ! et remarquant mon hésitation, il ajouta : Ne vous inquiétez pas, je veux juste me rendre compte de vos capacités.

Je me jetais à l'eau et entamais le spectacle que je j'avais présenté la veille à Costwold. Il m'arrêta au bout de quelques minutes et me demanda de l'attendre. Il sortit de la pièce par une petite porte et revint peu de temps après avec un luth entre les mains.
- Bravo, Mademoiselle. Votre potentiel est indéniable et j'accepte de vous enseigner mon art. Je vous souhaite la bienvenue à l'Académie !, me félicita-t-il en me tendant l'objet.

Je m'en saisis timidement pendant qu'il continuait :
- Je ne vous cache pas que la voie que vous avez choisie demande énormément de travail. Je vous apprendrai le maniement des instruments à cordes, à vent et à percussions, sans compter le chant, la diction et la danse. Nous débuterons les cours demain matin à 6 heures. J'exige la plus grande ponctualité de la part de mes élèves.

Après l'avoir salué, je le laissais. Je traversais la cour d'un pas digne, la tête haute et la mine aussi impassible que possible. Une fois dans la rue, n'y pouvant plus, je laissais exploser mon exultation en poussant un grand cri de joie et en exécutant un petit pas de danse. Quelques passants sursautèrent et me regardèrent surpris. Je leur adressais un éclat de rire en retour, puis me dirigeais gaiement vers les portes de Camelot pour regagner l'auberge de Costwold.

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vendredi 14 janvier 2011

Le chant de Kalliopê (4)


IV- Prise de conscience

Au bout d'une vingtaine de jours de voyage sur les terres Camlannaises, j'arrivais enfin dans la ville de Costwold, au pied des remparts de Camelot. Jusqu'à présent, je n'avais eu aucun problème pour trouver le gîte et le couvert dans les différents villages que j'avais traversés, moyennant quelques contes et poèmes. Je m'étais d'ailleurs décidée à acheter du matériel pour écrire mes propres compositions, travail que j'estimais plus enrichissant que de raconter les œuvres des autres.

Cependant, mon humeur s'était assombrie un peu plus à chacune de mes étapes. Tout d'abord, on m'avait conseillé d'emprunter les routes principales les plus fréquentées et de ne pas chevaucher seule de peur des brigands de grands chemins. Je m'étais exécutée d'autant plus volontiers que je m'estimais une bien piètre combattante. On m'avait également parlé d'étranges créatures errant dans la lande… Au début, je pensais à des légendes pour effrayer les enfants et les étrangers, mais on me tenait le même discours dans chaque auberge où je me produisais. Je commençais donc à écouter plus attentivement les conversations des gens du pays.

C'est là que je pris conscience de la cruauté du monde… Depuis mon enfance, j'avais vécu en dehors de la réalité, me plongeant dans les livres et me créant une image idyllique de l'extérieur. J'imaginais découvrir des contrées calmes, paisibles dans lesquelles les habitants vivaient tranquillement, dans la joie et la sérénité, comme durant l'Age d'Or du règne d'Arthur. Quelle erreur ! Le roi était mort sans désigner de successeur légitime et les prétendants au trône s'entredéchiraient pour l'accession au pouvoir, affaiblissant ainsi le royaume d'Albion. Hibernia et Midgard vivaient des situations similaires ce qui engendrait un immense chaos. Partout ce n'était que crimes, pillages, luttes entre bandes ou guildes concurrentes…

À la fin de mes prestations, au lieu de monter directement dans ma chambre, je m'asseyais donc à une table, devant une assiette bien garnie et un pichet de Clairet. Souvent, des villageois venaient me féliciter et j'en profitais pour leur proposer de partager mon repas. J'entendis ainsi de nombreux témoignages : un jeune homme dont le père avait péri en protégeant sa maison d'une attaque de maraudeurs, laissant une veuve et six enfants sans ressources ; un soldat ayant perdu sa jambe droite et avec elle, tous ses rêves de gloire ; et tant d'autres encore que je ne pourrais les citer tous. Mais dans chaque conversation, les mêmes mots revenaient comme une litanie : la guerre, le sang, la peur, la mort… et dans chaque regard, je lisais la haine et le désespoir.

Comment avais-je pu être aveugle à ce point ? Je m'étais tellement axée sur ma propre souffrance que je ne remarquais pas celle des autres. Comment oser seulement me comparer à ces gens ? Au fond, je ne connaissais ni la faim, ni le froid, ni l'horreur et la violence des champs de bataille. Mon malheur me paraissait, avec le recul, bien supportable…

Une nuit, je restais allongée sur mon lit les yeux grands ouverts, sans trouver le sommeil. La conversation que j'avais eue quelques heures plus tôt m'avait particulièrement bouleversée. Il s'agissait d'un mercenaire dans la force de l'âge, dont le front était barré d'une large cicatrice. Il me raconta que le printemps précédent, son frère jumeau et lui avaient été embauchés dans une petite compagnie afin d'organiser un raid près de la frontière Hibernienne. L'éclaireur chargé de les renseigner sur les troupes adverses s'était avéré être un espion à la solde d'une guilde rivale. Il leur avait communiqué de fausses informations et les ennemis, beaucoup plus nombreux que prévu, les attendaient de pieds fermes. Le combat avait été sanglant et les survivants avaient dû rapidement se replier. La voix de l'homme se brisa et ses yeux s'embuèrent. Je fus particulièrement troublée par une telle réaction de la part d'un combattant aussi aguerri, mais je restais silencieuse pour ne pas l'embarrasser.

Reprenant ses esprits, le guerrier se racla la gorge et continua, une lueur agressive illuminant soudain son regard. Quand le commandant avait donné l'ordre de reculer, il s'était naturellement tourné vers son frère pour l'apercevoir allongé à terre, les mains rouges de sang crispées sur le ventre. Il s'était précipité vers lui pour l'aider à se relever, mais s'était immédiatement rendu compte que la gravité de la blessure le rendait intransportable. Son jumeau s'était alors agrippé à son armure, le suppliant de l'achever pour ne pas le laisser tomber vivant aux mains de l'ennemi.

- Je ne peux pas, s'était écrié l'homme. Nous mourrons ensemble, frères jusque dans la mort !
- Non !, avait haleté le mourant en grimaçant de douleur. Tues-moi maintenant et vas-t'en avant qu'il ne soit trop tard. Survis et combat pour nous deux, je t'en prie ! Sinon ma mort n'aura servi à rien.

Un de ses compagnons s'était alors approché pour tirer le mercenaire par le bras et l'enjoindre de partir. Ses pensées s'étaient comme anesthésiées ; il avait alors dégainé son poignard et l'avait enfoncé dans le cœur de son frère d'un geste précis et rapide. Il avait juste eu le temps de l'entendre le remercier dans un dernier murmure avant que la mort ne lui ouvre les bras. Puis il s'était mis à courir pour quitter ce lieu maudit, sans jeter un regard en arrière. Après une courte pause, l'homme m'avoua d'un ton amer "J'ai tué la personne à laquelle je tenais le plus au monde, ma seule famille. Une partie de moi a disparu ce jour-là !"

Je ressassais cette histoire, encore et encore, la gorge nouée et les larmes roulant sur mes joues. Et enfin, je compris que les dieux m'avaient accordé le talent de conteuse pour témoigner de la souffrance du monde. Peut-être ainsi changerais-je les choses…

J'avais passé le reste de la nuit à noircir fébrilement des pages et des pages de parchemin. Ce n'est qu'au petit jour qu'épuisée mais satisfaite, je me couchais et m'endormais enfin. Les habitants de Costwold seraient les premiers à entendre le résultat de mes premiers écrits.

Illustration de Larry Elmore

jeudi 13 janvier 2011

Le chant de Kalliopê (3)


III- Conseils d'un aubergiste

Quel bonheur de se réveiller dans un lit confortable aux draps sentant le frais. J'avais dormi comme un bébé, ce qui ne m'était pas arrivé depuis une éternité. Sitôt habillée, je descendais prendre mon petit-déjeuner.

L'aubergiste m'accueillit par un bonjour jovial. Je lui demandais un bol de gruau et un verre de lait et partais m'installer à une table près de la cheminée. On approchait le milieu de la matinée et la salle était presque vide. Le tenancier vint m'apporter ma commande et s'assit en face de moi.
- Vous savez, commença-t-il, mon offre d'hier soir était on ne peut plus sérieuse. Vous avez un sacré talent pour captiver un auditoire. Sans votre intervention, il m'aurait fallu racheter une bonne partie du mobilier…
- Il est vrai que je suis tentée, lui répondis-je. Mais je dois vous avouer que je ne suis pas Ménestrelle. Je ne sais jouer d'aucun instrument et mon répertoire de contes est très limité, malgré la lecture de nombreux ouvrages. Sans compter que je ne connais pas les ficelles de ce métier.
- Pourquoi ne pas faire appel un professionnel qui vous formerait ? m'interrogea-t-il.
- Je ne sais pas où trouver quelqu'un qui soit susceptible de m'aider.
- Rendez vous à Camelot, me dit-il en se penchant vers moi. Vous y trouverez certainement une école qui vous acceptera sans aucun problème. Vous êtes faite pour ce métier et le plaisir que vous y prenez est évident.
- Je ne mérite sûrement pas vos éloges, bafouillais-je en rougissant.
- Pas de fausse modestie avec moi, jeune fille ! s'exclama-t-il. Vous paraissiez transformée lorsque vous racontiez cette histoire. Moi, j'appelle ça le feu sacré ! Si les dieux vous ont donné ce don, exploitez-le !
- Soit, je partirai demain à l'aube pour Camelot, capitulais-je.
Puis, j'ajoutais le regard pétillant :
- Je vous échange une nouvelle histoire et quelques chansons pour ce soir contre une seconde nuit céans, un bain chaud avant le spectacle et trois jours de vivres.
- Deux jours ! Marché conclu !

Sur ce, il se leva et retourna astiquer son comptoir. Après mon repas, je sortis pour visiter la ville. Je flânais ainsi la majeure partie de la journée, m'attardant en fin d'après-midi sur la place du marché où je vendais pour un bon prix mon bracelet de perles. J'avais décidé de garder le collier pour les jours de vaches maigres… Je dépensais néanmoins une partie de mon pécule pour m'offrir de solides sacoches de selle, des huiles parfumées pour le corps et les cheveux et un vêtement de scène, une robe de velours rouge au col et aux manches brodés de fils d'or.

De retour à la "Chope d'abondance", je montais dans ma chambre où un baquet rempli d'eau fumante m'attendait. Je me déshabillais et plongeais dedans avec délectation. Je me sentais tellement détendue que je faillis m'endormir. Heureusement, la femme de l'aubergiste vint frapper à ma porte pour me prévenir que la représentation allait débuter une heure plus tard. Je me dépêchais donc de me laver et de me préparer.

Il ne me restait plus que quelques minutes avant de rejoindre la grande salle. J'avais revêtu ma tenue neuve, parfumé et attaché mes cheveux avec des rubans assortis. Debout devant le miroir, j'étudiais mon reflet avec attention… J'avais devant moi une jeune femme à la chevelure d'or et au teint de lait. Les marques, derniers souvenirs qu'y avait laissés mon mari, disparaissaient peu à peu et je pouvais facilement les cacher. Je constatais que, par chance, les malheurs n'avaient pas marqué mon visage. Par contre, mes yeux pouvaient passer soudainement du bleu sans nuage d'un ciel d'été au gris tourmenté de l'hiver. Mais cela me servirait dans ma future profession. Je hochais la tête ; je n'avais jamais remarqué que, pomponnée, j'étais assez mignonne. Tant mieux ! On accorde plus d'attention à un joli minois. J'inspirais profondément et affichais un sourire éclatant. "En avant Kalliopê ! Et advienne que pourra !". J'ouvrais la porte et me dirigeais vers l'escalier menant au rez-de-chaussée.

Je passais une excellente soirée, divertissant un public encore plus nombreux que la veille. Malgré le trac qui me nouait les entrailles, j'avais réussi à prononcer les premiers mots, les plus difficiles. Ensuite, tout s'était enchaîné comme dans un rêve. À la fin du spectacle, je retournais directement dans ma chambre où j'avais demandé que l'on m'apporte quelque chose à magner. Je dévorais une miche de pain frais avec du jambon et du fromage et me désaltérais d'un doux Clairet. Enfin rassasiée, je me couchais.

Comme prévu, je fus réveillée avant l'aurore. Après avoir rassemblé mes affaires et pris un copieux repas, j'avais dit au revoir aux propriétaires, leur promettant de leur rendre visite si je revenais un jour dans la région. Enfin, j'avais enfourché ma jument et, des rêves plein la tête, j'avais pris la route pour Camelot.

Illustration de Maxime Kuppert

mardi 11 janvier 2011

Le chant de Kalliopê (2)


II- La liberté ne nourrit pas

Je voyageais deux jours durant. Je ne m'arrêtais que pour manger et me reposer quelques heures pendant la nuit. Cependant, je ne dormis que peu car il n'est pas aisé pour quelqu'un qui a toujours connu le confort d'un lit de dormir à la belle étoile. Le moindre bruit me réveillait et, lorsque le ciel commença à se teinter des premières lueurs de l'aube, mes membres me faisaient horriblement souffrir.

J'avais emporté les quelques pièces d'or que j'avais difficilement amassées ces dernières années, ainsi que les bijoux que je portais à mon mariage. Il s'agissait d'une parure de perles fines, offerte par mon père qui ne voulait pas que sa fille se présente devant l'autel le cou et les bras nus de peur de la réaction des nobles invités. Je décidais de les vendre dans la première ville que je croiserais car j'avais terriblement besoin de cet argent et surtout, je ne voulais garder aucun souvenir de ma vie passée. Je transportais également une petite dague que j'avais réussi à subtiliser dans la salle d'armes du château et suffisamment de vivres pour tenir quelques jours.

Pendant ma chevauchée, je réfléchissais au moyen de survivre dans un monde inconnu. Bien sûr, il me serait toujours possible de monnayer mon cheval quand ma bourse serait vide, mais je répugnais à me séparer du seul cadeau sincère que j'avais reçu de toute ma vie.

J'avais conquis ma liberté, mais le plus difficile restait à venir ; à présent, il me fallait survivre. Que savais-je faire ? Je ne possédais aucun don pour les armes et n'avais aucune envie de commencer une quelconque carrière militaire. J'étais versée dans l'art de la lecture, de l'écriture et de l'utilisation des plantes, mais je ne souhaitais m'installer nulle part. En effet, j'avais peur que mon époux essaye de me retrouver et j'étais terrorisée à l'idée qu'il y parvienne. Je me voyais donc dans l'obligation de mener une vie itinérante pendant quelques mois.

Au soir du deuxième jour, ivre de fatigue et percluse de courbatures, je rêvais d'un matelas douillet et d'un repas chaud. Je me mis donc en quête d'un endroit dans lequel louer une chambre à bas prix.

Quelques lieues plus tard, j'avisais avec soulagement une bourgade et m'y dirigeais aussitôt. À peine entrée en ville, je fus attirée par de la musique et des rires et m'approchais du bâtiment dont l'enseigne représentait une énorme chope de bière. Je laissais ma monture dans la grange, après l'avoir dessellée et bouchonnée avec de la paille fraîche, puis j'entrais dans la taverne bondée d'une foule bigarrée et joyeuse. C'était un lieu très accueillant avec son bar en chêne massif, ses tables rondes et sa cheminée où le feu crépitait. De la cuisine sortait une délicieuse odeur qui me donnait l'eau à la bouche. Un groupe de musiciens jouaient un refrain connu que l'assistance reprenait en chœur.

Je me dirigeais vers l'aubergiste et lui demandais en glissant une pièce sur le comptoir :
- Auriez-vous une chambre libre pour la nuit ? Je souhaiterais également que quelqu'un se charge de nourrir ma jument.
- Vous avez de la chance, ma jeune Dame, me répondit-il en me tendant une clé. C'est la dernière qu'il me reste. Aujourd'hui, c'est soir de représentation, alors j'ai un monde fou ! Hé, Moustique, cria-t-il à un jeune garçon dégingandé, va t'occuper du cheval de la Demoiselle.
Se tournant vers moi, il rajouta :
- Par contre, pour dîner, toutes les tables sont prises. Mais, vous pouvez manger au bar.

Je le remerciais d'un grand sourire en m'asseyant sur un tabouret et commandais un plat de ragoût avec du pain frais et un pichet de vin coupé d'eau.

Je venais de terminer mon repas lorsque les problèmes commencèrent. Les musiciens annoncèrent que leur répertoire était épuisé et qu'ils se retiraient. La foule se mit immédiatement à protester par quelques sifflets. Puis, l'alcool aidant, elle se fit vite vindicative. Les artistes paraissaient de plus en plus mal à l'aise sentant que la situation leur échappait totalement.

C'est alors que je fis quelque chose d'insensé dont je ne me serais jamais crue capable. Je me levais d'un bond, montais sur le comptoir sous les yeux ébahis de l'aubergiste et lançais d'une voix forte.
- Braves gens, point de querelles. Ne gâchons pas, par une violence inutile, une soirée si agréable. Puisque ces gentils saltimbanques nous ont régalé un long moment, je vous propose de leur permettre de prendre un repos bien mérité. Quant à moi, si vous le souhaitez, je puis vous conter une histoire.

L'assemblée fut tellement surprise que les cris stoppèrent instantanément. J'en profitais pour continuer gaiement :
- Bien ! Applaudissons tout d'abord ces musiciens si talentueux !

Quand les bravos cessèrent, je me lançais dans le récit de mon roman préféré, un conte d'aventures que j'avais parcouru des dizaines de fois, alliant scènes romantiques et passages épiques. Mon auditoire était captivé ! J'éprouvais un réel bonheur à voir leurs émotions défiler dans leurs yeux, à déclencher leurs rires ou leurs larmes. À la fin de ma prestation, je fus récompensée par une ovation. Des femmes émues me pressaient la main en me remerciant, des hommes me tapaient l'épaule en me félicitant. J'étais grisée par mon succès…

Alors que l'établissement se vidait et que je m'apprêtais à monter dans ma chambre, le tavernier me rendit ma pièce :
- J'aurais honte à la garder, jeune Ménestrelle. Grâce à vous, j'ai fait deux fois plus de bénéfices que d'habitude. Vous pouvez rester chez moi autant que vous voudrez en échange d'autres soirées comme celle-ci !
- Je suis beaucoup trop fatiguée pour répondre favorablement ou non à votre proposition, murmurais-je. Mais je vous promets d'y réfléchir demain.

À peine allongée dans mon lit, je m'endormais déjà, un mot tournoyant inlassablement dans mon esprit : "Ménestrelle…"

Image : "Sann'véan" de Sandrine Gestin - Huile sur toile - 65 x 54cm (2002) Œuvre personnelle, éditée dans le recueil Terra Incognita

Le chant de Kalliopê (1)

Voici le premier chapitre d’une nouvelle écrite il y a une dizaine d’années (déjà). Celle-ci retrace les aventures de Kalliopê, le personnage que je jouais à ce moment-là dans Dark Ages of Camelot, un Jeu de Rôle en ligne. Le pseudo m’est resté.

I- Une nouvelle vie

Je suis née lors d'une sombre nuit d'hiver. Mon père, riche négociant en produits rares, était en déplacement pour ses affaires pensant que sa femme, enceinte de huit mois, n'accoucherait pas avant son retour. S'il avait su qu'il ne reverrait jamais le sourire de son épouse bien aimée, il serait resté auprès d'elle.

Chaque jour, après son déjeuner, ma mère avait pris pour habitude de se promener dans le parc jouxtant le manoir familial. Elle s'emmitouflait dans une lourde cape de fourrure et flânait une heure durant. Ni la neige, ni le vent pourtant glacial en cette saison, ni même les protestations de l'intendante de la maison ne pouvaient la dissuader.

Un après-midi particulièrement froid, alors qu'elle entamait sa marche coutumière, elle glissa sur une plaque de verglas et tomba sur le sol pavé de la cour. Son hurlement de frayeur alerta les domestiques qui se précipitèrent pour l'aider à se relever. C'est alors que les premières contractions se firent sentir. On la ramena dans sa chambre, l'allongea sur le lit alors qu'elle de tordait de douleur en gémissant. L'intendante prit les choses en mains et envoya un jeune lad quérir le médecin en urgence. Malheureusement, une épidémie décimait la région et il n'arriva qu'au milieu de la nuit, trop tard. Ma mère était morte en me mettant au monde, avant même de m'entendre pousser mon premier cri…

Quand mon père revint quelques jours plus tard, il comprit au premier regard qu'une catastrophe avait eu lieu pendant son absence. Quand il trouva le corps glacé et inerte de la seule femme qu'il eût aimé reposer sur le lit conjugal, il pleura de désespoir jusqu'au lendemain. À partir de ce moment, plus rien ne compta pour lui en dehors de son compte en banque et de sa position sociale.

Les journées passèrent, puis les mois et les années. Me tenant pour responsable de la mort de son "cher ange" comme il l'appelait, mon père ne supportait pas ma vue. Je fus donc élevée par une nourrice, dans une partie reculée du château, afin que je ne croise jamais mon géniteur. La brave femme, ne sachant ni lire ni écrire, se chargea de mon bien-être, mais pas de mon instruction. Je grandis donc, livrée à moi-même la majeure partie du temps.

Vers 13 ans, je fuguais des jours entiers pour me rendre dans la ville voisine, dont je connaissais les moindres ruelles. Je m'habillais des vieux vêtements élimés du fils de ma nourrice et, sitôt quittées les limites de la propriété, je maculais mes joues et mes mains de terre pour me rendre méconnaissable. Je me rendais régulièrement dans une rue adjacente à l'avenue principale, une longue artère commerçante. Là, en montant discrètement sur un petit muret, je pouvais épier ce qui se passait dans l'arrière boutique d'une herboristerie.

Cet endroit représentait, pour moi, l'antre du savoir. Des rangées de vieux grimoires s'alignaient dans les rayons d'une grande bibliothèque ; sur des étagères au fond de la pièce, trônaient quantités de bocaux transparents remplis d'ingrédients divers. Une table de travail était chargée de récipients, d'alambics, de cornues et d'outils étranges de toutes formes dont l'utilité me rendait sceptique… Dès l'aube, le propriétaire, un homme émacié aux cheveux rares et blanchis par l'âge, s'isolait dans cette pièce pour préparer ses potions. Je le regardais, s'activant à droite et à gauche, pilant, hachant, mélangeant des herbes et des composants que je n'aurais su nommer. J'étais fascinée.

Ce matin-là, je rejoignis mon observatoire alors que le soleil se levait à peine. La veille, j'avais croisé mon père en me rendant à la cuisine pour mon dîner. Mon cœur bondit dans ma poitrine quand, m'apercevant, un grand sourire se dessina sur son visage… pour s'effacer aussitôt, comme un mirage. Il me cria d'une voix dure : "hors de ma vue, démon ! Est-ce pour me faire souffrir que tu lui ressembles tant ?". Je retournais dans ma chambre, l'appétit m'ayant quitté. Toute la nuit, j'avais inondé mon oreiller de mes larmes et je pleurais encore, accroupie sur mon perchoir favori. C'est sans doute la fatigue qui me fit perdre l'équilibre et tomber sur la chaussée. Attiré par le bruit, l'apothicaire sortit par une porte dérobée que je n'avais jamais remarquée.

Il se pencha vers moi et me sourit.
- J'étais sûr que tu finirais par te blesser, perchée là-haut. Ne penses-tu pas que tu serais plus confortablement installée à l'intérieur ?
- J'ai mal, monsieur, répondis-je en lui montrant ma cheville.

Il me mena dans son magasin et m'installa dans un petit fauteuil. Il s'occupa de moi pendant que je lui racontais mes malheurs. Il me proposa de l'aider dans son travail car ses yeux n'étaient plus aussi perçants qu'autrefois. Bien entendu, j'acceptais sans hésiter. Je commençais par nettoyer et ranger les ustensiles. Je profitais de sa présence pour lui poser toutes les questions qui me passaient par la tête, auxquelles il répondait toujours simplement. Il apprécia tant ma curiosité qu'il m'apprit les mystères de la lecture, de l'écriture et surtout des plantes. Je dévorais tous les ouvrages de sa bibliothèque. Ce furent les meilleurs moments de ma vie…

Mon père se souvint de mon existante quand j'atteignis mes 18 ans. Il décida de me marier, ou plus exactement de me vendre, à un noble désargenté. Il se délestait d'une dot conséquente contre l'assurance de côtoyer un monde que seule l'entrée au sein d'une grande famille pouvait lui offrir. Il espérait ainsi accroître encore davantage la fortune accumulée ces dernières années.
Mon fiancé avait le triple de mon âge. On le prétendait cruel et violent. Sa première femme était morte dans d'étranges circonstances et des rumeurs l'accusaient de l'avoir assassinée lors d'un de ses fameux accès de fureur.

Je le rencontrais quelques jours avant la cérémonie et le détestais aussitôt. Il me jaugeait d'un air suffisant et, remarquant mon air revêche, me murmura : "Je m'imaginais une enfant effacée et je trouve une jeune femme au regard de feu." Et il rajouta avec un sourire carnassier :"Ce sera un plaisir de vous dresser comme une pouliche rétive !" Un frisson d'épouvante parcouru mon échine.

Je pensais que mon enfance avait été un calvaire ; mon mariage s'avéra un enfer ! Je ne m'étendrai pas sur les sévices que mon époux me fit endurer. Moi, si fière, j'appris vite à courber la tête avant de dépasser les limites de sa patience. Mon principal acte de résistance fut de ne pas lui donner l'héritier qu'il attendait. Je ne pouvais pas m'opposer à ce qu'il possède mon corps, mais je refusais de porter son enfant. A chaque pleine lune, je préparais en secret une potion destinée à rendre mon ventre stérile jusqu'au cycle suivant.

Régulièrement, mon mari séjournait en ville et dépensait son argent au jeu. Je profitais de ces moments d'accalmie pour savourer ma tranquillité dans la bibliothèque. C'est là que, par hasard, je découvrais un manuscrit retraçant l'histoire de la famille ainsi que du château. Caché dans la reliure, se trouvait un parchemin répertoriant plusieurs passages secrets dont un partant de ma chambre et menant à l'extérieur. Je me promis d'exploiter cette information et organisais mon évasion.

Mon plan bien établi, je passais à l'acte. Pendant plus d'une semaine, je modifiais mon attitude pour que mon époux baisse sa garde. J'avais suggéré à demi-mot que notre situation me déplaisais et que je souhaitais ardemment établir une trêve. Je m'étais faite peu à peu plus douce, plus coquette. Quand il me rejoignait dans ma chambre, je lui offrais du vin qu'il sirotait pendant que je me brossais les cheveux devant ma glace. Ses assauts restèrent néanmoins sauvages pour me prouver qu'il demeurait le maître…

Enfin, sonna l'heure de la délivrance. Comme à son habitude il s'était étendu sur le lit, une coupe en argent dans la main. J'observais son reflet à travers le miroir de ma coiffeuse. Je ne pus empêcher un sourire d'effleurer mes lèvres lorsqu'il avala par petites gorgées le vin empoisonné que je lui avais servi. J'avais concocté pour lui un mélange détonant qui l'assommerait plusieurs heures dans un premier temps, puis qui l'affaiblirait assez pour l'aliter quelques semaines. Cela me laissait largement le temps de récupérer les affaires cachées dans le passage dérobé et de prendre la poudre d'escampette.

Je passais à l'herboristerie pour embrasser mon vieil ami et mentor. Il m'offrit son cheval, une douce jument baie au regard vif baptisée Canelle, en guise de cadeau d'adieu, arguant qu'il était maintenant trop vieux pour le monter. Je le remerciais et partis sans me retourner. Je galopais jusqu'à l'aube vers une nouvelle existence.

J'ai décidé de coucher mon passé sur le papier pour vider mon âme, comme un médecin éliminerait le sang corrompu d'un corps malade lors d'une saignée.

Je suis née un magnifique matin de printemps. J'ai toute la vie pour aimer, rire et chanter. Je m'appelle Kalliopê.

Espérance

Prisonnière du présent, je souffrais mille morts
Liée à un époux martyrisant mon corps
Craignant à chaque instant, l'âme emplie de terreur
Ses accès de violence, causes de mes malheurs
La source de mes larmes à jamais s'est tarie
Mon cœur s'est embrasé d'une haine infinie
Pour cet homme cruel à l'esprit si pervers
Que les actes barbares mèneront aux Enfers
Longtemps j'ai attendu et longtemps j'ai prié
Pour que Dame Fortune dans sa grande bonté
Touchée par ma détresse, attirée par ma peine
M'offre une occasion de rompre enfin mes chaînes
Libérée du passé, vengée de mon mari
Je vais pouvoir goûter aux plaisirs de la vie
Toi qui souffres en silence, agis, saisis ta chance
Car au bout du tunnel se trouve l'Espérance

Image : « L'attente » de Sandrine Gestin - Huile sur toile - 61 x 38 cm (2002) Collection privée

mercredi 5 janvier 2011

Peau d'Âne (2)


Le roi a donc décidé d'épouser sa fille pour tenir la promesse faite à la défunte reine. La Princesse se rebelle ! Sur les conseils de sa marraine, la Princesse pose des conditions à ce mariage : une robe couleur du temps, une autre couleur de lune et une dernière couleur de soleil. Le roi accède à ses désirs et la jeune fille, en dernier recours demande la peau de l'âne banquier...
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"Cette fois c'en est trop, il vous faut vous enfuir
Couvrez-vous de haillons, souillez votre visage

De la peau de cet âne songez à vous vêtir

Pour que l’on vous oublie, sitôt votre passage"


"Mettez dans cette malle vos bijoux, vos toilettes
Et afin qu'en tout lieu vous puissiez l'invoquer

Gardez auprès de vous cette utile baguette

Et ainsi pour toujours Princesse vous resterez"


Alors elle s'échappa à l'autre bout du monde
Afin de se soustraire à son odieux destin
Son aspect repoussant effrayait à la ronde

Et seule une fermière la sauva de la faim


Ainsi, la jeune fille qu'on surnomma Peau d'Ane
S'occupa désormais de nourrir les dindons

Elle trouva dans les bois une sombre cabane

Où n'auraient même pas habité les cochons


Avec beaucoup de goût, elle orna sa maison
Grâce aux menus objets qu'elle avait emportés

Et ses jours de repos, elle quittait ses haillons

Pour un joli collier et de la soie porter


Le Prince, un jour, surpris pas une voix très pure
S'approcha de la porte et par curiosité

Se pencha pour coller son œil à la serrure

Il fut abasourdi par tant de majesté


Il courut au village trouver la paysanne
Pour savoir qui vivait dans la maison de bois

Elle répondit "c'est cette crasseuse de Peau d'Ane"

Le jeune homme à ces mots en resta tout pantois


De retour au château, se croyant aliéné
Il entra dans sa chambre et ses parents soucieux

Mandèrent des médecins et de puissants sorciers

Pour guérir de ce mal leur enfant si précieux


Après consultation, ils se mirent tous d'accord
Incontestablement le Prince mourrait d'amour

Au chevet de son fils, la reine en réconfort

Avec délicatesse lui offrit son secours


"Dans une maisonnette, au milieu du sous-bois,
Habite une donzelle affublée d'oripeaux

Qu’un messager sur l’heure soit envoyé là-bas

Supplier que, pour moi, elle cuisine un gâteau"


Peau d'Ane se para de ses plus beaux atours
Pour satisfaire le souhait de l'amoureux transi

Mais alors qu’elle glissait le dessert dans le four

Une bague tomba dans la pâtisserie


Quand le Prince reçut son singulier présent
Il en prit un morceau, respira son fumet

Et l'avala tout rond, avec ravissement

Mais la bague resta collée sur son palais


Il toussa et soudain, il cracha dans son poing
Un anneau minuscule serti d'un solitaire

Aussitôt il promit de demander la main

De la dame capable d'y entrer l'annulaire


Apprenant la nouvelle parcourant le pays
Nobles et roturières se pressèrent au château

Mais qu'elles soient riches ou pauvres, disgracieuses ou jolies

Aucune ne parvint à enfiler l'anneau


Peau d'Ane fut conviée pour passer la dernière
Elle glissa dans la bague son doigt si délicat

C'est alors que tomba sa pelisse grossière

Et qu'elle se présenta en robe d'apparat


Le Prince lui jura un amour éternel
Et la cérémonie se déroula sans heurt

Le père de la promise la mena à l'autel

La sorcière leur souhaita une vie de bonheur


Le monarque conscient, enfin, de sa méprise
Avec un regard neuf, avisa la marraine

Elle usa de ses charmes afin qu’il la courtise
Et quelques mois plus tard devint sa souveraine


Les tourtereaux vécurent jusqu'à leurs derniers jours
Une existence douce, facile et sans déboires

Ils eurent de beaux enfants et s'aimèrent toujours

C'est ainsi que s'achève cette charmante histoire

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Peau d'Âne (1)


Cette version du conte de Peau d’Âne m'a davantage été inspirée par le film de Jacques Demy que par le poème original de Charles Perrault. Mais Demy était très proche de l’auteur, malgré tout. Comme le poème est long, je le diffuserai en plusieurs fois…

Peau d’Âne


Il était une fois, il y a bien des lunes

Un roi qui possédait un très curieux trésor

Il s'agissait d'un âne qui faisait sa fortune

Car il transformait tout ce qu'il mangeait en or 


Le monarque, heureux homme, pouvait s'enorgueillir
D'une épouse dont les bardes chantaient la perfection

Il l'aimait follement, elle combla ses désirs

Lorsqu'une enfant naquit, célébrant leur passion
 


Seize années s'écoulèrent dans un bonheur serein
Mais le Destin aveugle accorde autant de prix

A un petit mendiant qu'à un grand souverain

Et la reine mourut frappée de pneumonie
 


Mais avant son trépas, le roi dut lui jurer
D’épouser une femme à la seule condition

Qu’elle surpassât la reine en grâce et en beauté

L’homme éploré promis sans plus de réflexion
 


Point ne revient aux filles le pouvoir de leur père
Les conseillers du roi le prièrent sans tarder

De trouver une femme à la santé de fer

Qui pourrait concevoir, enfin, un héritier
 


Des propositions vinrent de la terre toute entière
Mais du monarque aucune n'emporta le suffrage

Puisque sa descendance ressemblait à sa mère

C'est donc à celle-ci qu'il offrit le mariage
 


Devant le sacrilège maintes voix s'élevèrent
Pour protester avec une extrême énergie

La jeune fille en pleurs vint supplier son père
Le roi était buté, jamais il ne faiblit
 


La Princesse avait pour marraine une sorcière
Qui, scandalisée par ce projet saugrenu,

Quitta en toute hâte son mystérieux repère

Et gagna le château pour sauver l'ingénue
 


"Mon enfant, restons calmes, échafaudons un plan
Exigez qu'on vous offre en cadeau d'épousailles

Une nouvelle robe, disons, couleur du temps

Nul ne pourra jamais accomplir ce travail"
 


Mais le roi fit appel aux meilleurs artisans
Et dès le lendemain il lui fut apporté

Un vêtement de soie aux reflets si changeants

Que le ciel de l'automne succédait à l'été
 


"Ne désespérons pas, s'écria la sorcière
Avouez dès maintenant votre insatisfaction

Dites que la douceur des blancs rayons lunaires
Conviendraient davantage à votre carnation"
 


Les couturiers, habiles, relevèrent le défi
Leur œuvre terminée, ils livrèrent un présent

Bien plus étincelant que l'astre de la nuit
La marraine en colère poussa des hurlements
 


"Je ne saurais subir humiliation pareille
Présentez-vous céans devant sa Majesté

Et prétendez que seul le lumineux soleil
S'accorde exactement avec votre beauté"
 


Les tailleurs furent encore une fois sollicités
Dans cette robe, enfin, ils mirent tout leur art

Le tissu flamboyait d'un tel éclat doré

Qu'on ne pouvait longtemps y porter le regard


"N'ayons plus de scrupules puisque le roi s'entête
Demandez-lui d’abattre son âne merveilleux

Et de tanner pour vous la peau cette bête

Cette requête-là lui ouvrira les yeux"
 


Le roi fut très surpris que sa fille, si sage
Osa lui réclamer un pareil sacrifice

Pourtant il s'inclina, ignorant le message

Et posa sur son lit l'objet de son caprice


(A suivre...)
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Dans la plaine



C'était au tout début de l'été
Le soleil venait de se lever
Les nuages laissaient quelques traînées
Roses et mauves dans le ciel azuré
La colline entière se recouvrait
D'un tapis fleuri et colorées
Offrant aux regards émerveillés
Un spectacle d'une rare beauté
DOUCEUR

A chaque bout du champs deux armées
Dont la multitude de guerriers
Silencieusement s'observaient
Les armures et les épées brillaient
Soldats des ténèbres d'un côté
Aux hommes de la lumière opposés
La peur au ventre et les tripes nouées
Tous attendaient l'ordre d'avancer
FRAYEUR

Quand le commandement fut donné
Les combattants levèrent leurs épées
Pour leurs maudits adversaires défier
Une clameur au ciel fut poussée
Puis les soldats se sont élancés
Pour dans la plaine se percuter
Dans un bruit de tôle entrechoquée
FUREUR

S'ensuivit une bataille acharnée
Entre lumière et obscurité
Le mensonge contre la vérité
Les corps tombaient à terre par milliers
Membres tailladés ou têtes tranchées
Chaque fois que les armes s'abattaient
Le sang en rivières pourpres coulait
Sur le grand champ de fleurs écrasées
HORREUR

Ce n'est qu'à la fin de cette journée
Passée à combattre et à lutter
Que les Dieux par ce jeu ennuyés
Tranchèrent que l'emporterait l'armée
Dont les prières s'étaient avérées
Les plus ferventes et les plus zélées
Ainsi les troupes de l'obscurité
Dès le crépuscule se retiraient
FERVEUR

Cependant cette victoire laissait
Un goût d'une singulière âpreté
Quand les morts furent comptabilisés
Tous les généraux furent atterrés
La plaine était devenue charnier
Et les fleurs à jamais oubliées
Les plaintes des blessés s'élevaient
Du champs de bataille dévasté
DOULEUR

Cette fois la lumière avait gagné
Mais la guerre n'était pas terminée
Lorsque les blessures se fermeraient
Que les larmes auraient assez coulé
Sur les joues des veuves endeuillées
De nouveau les poings se dresseraient
Les deux armées se reformeraient
Et bientôt tout recommencerait
AILLEURS

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La femme rose


Tout d’abord vous serez troublé
Par l’insolence de ma beauté
Très vite vous serez enivré
Par mes mots tendres et veloutés
Par mon parfum doux et sucré
Toutes les nuits vous rêverez
De caresser ma peau de lait
Si vous tentez de me charmer
Que vos efforts sont empressés
Alors sans doute, amadouée
Vous permettrai-je de m’embrasser
Ou bien plus si affinités
Mais prenez garde, car si jamais
Par vos actions vous me blessiez
Je me vengerai sans pitié
Votre cœur je déchirerai
De mes épines acérées
Dans vos larmes je me baignerai
Pour aussitôt vous oublier

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dimanche 2 janvier 2011

Ca prend la poussière par ici...

Voilà un bon moment que je n'ai pas mis de nouveau billet par ici et je n'ai pas grand chose à dire. Je me rends compte qu'il est plus facile d'animer une page Facebook qu'un blog...

Alors pour dépoussiérer un peu la guinguette, une fois n'est pas coutume, je recycle (encore) ; un petit poème en prose que j'ai écrit pour un concours, il y a pas loin d'une éternité.
Le thème : La maison de Dieu.


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La maison de Dieu

Boum, boum… Boum, boum…
De tous temps, l’Homme a pensé qu’il devait prier dans Ma maison pour entendre Ma voix. Il M’a donc construit des temples, des mosquées, des cathédrales. Certains édifices s’élancent si loin vers le ciel qu’en levant la main, l’Homme pourrait imaginer toucher le Paradis. Il croit se trouver plus près de moi perché tout là-haut.

Boum, boum… Boum, boum…
Mais l’Homme a beau prier, il n’entend pas de réponse. Alors il s’insurge, crie, pleure, supplie pour qu’enfin, Je l’écoute. Il se demande pourquoi la divinité dont il est issu reste sourde à ses appels.

Boum, boum… Boum, boum…
L’Homme a raison de penser qu’à l’intérieur de Ma maison, il communiquera avec Moi. Mais pour le reste, il se leurre. Me construire de riches édifices, quelle foutaise. J’ai créé toute chose sur cette terre ! Me croit-il donc incapable de bâtir un abri ?

Boum, boum… Boum, boum…
Si seulement l’Homme s’arrêtait de hurler, de courir… S’il trouvait un endroit calme pour s’asseoir. S’il vidait son esprit de tous ses désirs futiles et matériels. Si, enfin, il ressentait au lieu de penser. Il saurait où J’habite.

Boum, boum… Boum, boum…
Ma maison est étroite, douce, chaude et sombre. Cependant elle vibre et chante au rythme de la vie. Elle accueille les joies et les peines de l’Homme, ses amours et tant d’autres sentiments. Oui, si l’Homme se décide à écouter, c’est ici qu’il entendra Ma voix… au plus profond de son cœur.

Boum, boum… Boum, boum…