jeudi 20 janvier 2011

Le chant de Kalliopê (7)

VII- Une rencontre décisive

Cette plongée dans mon passé m’avait anéantie… Bien sûr, mon mentor m’avait convaincue de sa nécessité pour continuer mon apprentissage, mais le travail que je m’imposais me laissait chaque fois plus désemparée que la précédente.

Je continuais néanmoins à donner mes représentations à l’auberge de Costwold. Le propriétaire de l’établissement m’avait permis d’emménager dans une confortable petite chambre au deuxième étage, où je disposais d’un lit moelleux, d’une armoire et d’un bureau pour travailler. Sa femme Elizabeth, avec qui j’avais sympathisé, m’apportait régulièrement des fleurs fraîches qu’elle disposait dans un joli vase près de la fenêtre ainsi que des chandelles de cire blanche pour me permettre d’écrire tard dans la nuit.

J’avais décidé de raconter ma propre histoire, pensant que cela me permettrait peut-être d’évacuer ma douleur. Mais mon héroïne trouvait le bonheur et tout se terminait pour le mieux, à la plus grande satisfaction du public. À la fin de chaque spectacle, je montais directement dans mon antre pour y dîner. Je n’avais plus le courage de me mêler à la foule joyeuse des habitués…
Elizabeth, que j’avais affectueusement surnommée Lizzy, s’inquiétait de mon état et veillait à ce que je mange suffisamment. Elle venait me voir quand son travail lui en laissait le loisir et me racontait les potins de la capitale. Je faisais mine de l’écouter avec intérêt pour ne pas la peiner, mais le cœur n’y était pas. Le désespoir et la solitude me détruisaient peu à peu et ma passion pour mon nouveau métier ne parvenait plus à me consoler.

Un soir pourtant, je demandais Lizzy de me servir mon repas dans la grand-salle et je m’installais à une petite table près de la cheminée. C’est là que je la vis pour la première fois… Elle se tenait adossée au comptoir et m’observait. Elle était grande, svelte et d’une beauté à couper le souffle. Ses cheveux, tressés savamment, flamboyaient d’un rouge chaud comme le soleil couchant, encadrant un visage clair et pur. Ses lèvres pulpeuses avaient la couleur rosée des friandises préférées des enfants de Camelot. Ses yeux, aussi bleus que le ciel au plus fort de l’été Albionnais, semblaient si profonds que tout homme aurait pu s’y perdre sans espoir de retour.

Elle se dirigea vers moi. Je remarquais qu’elle était vêtue, à l’instar des guerriers, d’une cotte de mailles soulignant avantageusement ses formes généreuses et qu’elle portait une épée longue et une autre à deux mains. Sa démarche féline et ses gestes fluides démontraient une expérience que seules des années de combat sont susceptibles de procurer. Tous les mâles présents la suivaient du regard, hypnotisés par le balancement de ses hanches. Je vis quelques aventuriers hocher la tête sur son passage, en signe de respect dû à une personne de grande valeur.
C’est lorsqu’elle s’arrêta devant moi que j’aperçus le médaillon d’or ornant sa poitrine. Il représentait une épée autour de laquelle s’enroulait une rose. Je pensais furtivement que cet insigne lui ressemblait… un mélange subtil de force et de douceur.

- Puis-je me joindre à vous ? me demanda-t-elle d’une voix mélodieuse.
- Je… je vous en prie, balbutiais-je timidement.
Face à elle, je me sentais aussi insignifiante et dépourvue d’attrait qu’un canard dans un troupeau de cygnes.

- Je tenais à vous remercier de m’avoir aussi bien divertit. Il y a longtemps que je n’avais vu un auditoire aussi attentif, me dit-elle en souriant. Puis elle ajouta en me tendant la main : Mais je ne me suis pas présentée… Pardonnez-moi ! Je me nomme Lilith Elween.
Je me sentis soudain en confiance et j’avançais la mienne à mon tour :
- On m’appelle Kalliopê.

Je ne savais pas encore que cette rencontre changerait mon existence…
Je demandais à Lilith si elle avait dîné et, devant la négative, appelais Lizzy pour qu’elle nous serve un plat chaud accompagné de bon vin.
- Dites-moi, Kalliopê", commença ma compagne. À partir de quel moment votre histoire de ce soir est-elle inventée ? Je pencherais pour votre arrivée à Camelot… Est-ce que je me trompe ?
Je la regardais avec surprise.
- Je n’ai jamais précisé qu’il s’agissait de moi…
- C’est pourtant évident, ma chère me répondit-elle en riant. Votre émotion et vos yeux vous ont trahi !

Je ne pouvais que lui avouer qu’elle avait raison.
Nous discutâmes longtemps, réchauffées par le breuvage épicé et le crépitement des flammes. Elle me parla du monde de Camlann, de sa violence depuis la mort d’Arthur.
- Venant d’arriver sur nos terres, vous bénéficiez encore d’une certaine immunité, mais bientôt, vous serez exposée vous aussi. Je vous conseille vivement d’intégrer une guilde afin de bénéficier d’une protection.
- Une guilde ? m'écriais-je. Mais je ne connais presque personne ici… On ne s’engage pas dans une confrérie à la légère !
- Je suis sure que l’aubergiste pourra vous renseigner sur les principales. Cependant, pensez bien à demander quels préceptes suivent ces groupements… Certains acceptent le meurtre gratuit, sans sommation, quelle que soit la cible. D’autres combattent exclusivement les personnes susceptibles d’entrer dans ce schéma. D’autres enfin, mettent un point d’honneur à ne répliquer qu’en cas d’agression. Tout dépend de vos convictions.
- Je suis une artiste, répliquais-je. Je déteste la brutalité ! Bien sûr, il est hors de question de me laisser trucider sans répliquer, mais dans aucun cas je ne serai à l’initiative d’un combat.

Lilith me sourit en se levant :
- Je dois vous laisser car il se fait tard et je n’ai pas vu le temps passer. Venez donc me voir à Jordheim, nous continuerons cette conversation. Je serai à la taverne des Faucheuses d’Ames.

Je lui promis de profiter de ma soirée de repos du lendemain pour m’y rendre. Après un dernier au revoir, elle quitta l’établissement.

Je montais alors dans ma chambre et me couchais aussitôt. Mes cauchemars furent moins nombreux cette nuit-là…

Illustration : Might par RogueElement.

Aucun commentaire: